Algérie-Niger: les raisons de la normalisation
“L’Algérie a toujours été du côté du Niger dans toutes les crises que le pays a eu à affronter par le passé”. A sa sortie d’une longue audience que lui avait accordée son homologue algérien, Ahmed Attaf, le chef de la diplomatie nigérienne, Bakary Sangaré, a donné le ton.
Après un isolement qui a duré plusieurs mois, le régime militaire qui a pris le pouvoir de force à Niamey le 26 juillet 2023, a savouré cette reconnaissance internationale qui tardait à se dessiner, d’autant plus que quelques jours auparavant, il était déjà à Rabat pour une réunion consacrée à la région du Sahel.
C’est en Algérie que le responsable nigérien a savouré cette petite victoire. Car, depuis le début de la crise politique dans son pays, Alger a eu une ligne de conduite qui n’avait pas varié: tout en réclamant un “retour rapide” à “l’ordre constitutionnel” et la réinstallation du président Mohamed Bazoum au pouvoir, elle s’est opposée vigoureusement à une intervention militaire, un temps envisagée par la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), et la France. Puis, pour devancer les autres puissances, elle a fait une proposition concrète qui consiste à passer par une période de transition de six mois durant laquelle le pays serait présidé par une “personnalité civile consensuelle”.
C’était déjà les prémices d’une acceptation de fait accompli ? “Je pense que l’Algérie a acté la fin de règne de Mohamed Bazoum et s’est rendue à l’évidence que les putschistes sont une réalité avec laquelle il faut désormais travailler. C’est d’ailleurs le choix qui a été fait par les Américains. Même la Cédéao est en train de négocier avec les nouveaux maîtres de Niamey”, explique un journaliste algérien qui connaît le dossier nigérien.
Contrairement aux putschs précédents dans certains pays de la région du Sahel, ceux des dernières années ont dépassé le seul cadre national des pays concernés. Dans le but de “chasser” les forces étrangères et surtout de faire face à la menace de plus en plus pesante des groupes terroristes, les militaires au pouvoir au Mali, Burkina Faso et au Niger ont créé une alliance du Sahel en vue de mutualiser leurs forces et de parler d’une seule voix face à une communauté internationale exigeante sur des questions de démocratisation de ces régimes.
C’est la création de cette “coalition” qui semble avoir attiré l’attention d’Alger, selon le chercheur malien Aboubacar Ba.
“Cette alliance du Sahel a enregistré des résultats encourageants” dans le domaine de la lutte contre les groupes terroristes, a-t-il indiqué à TRT-français. L’universitaire, spécialisé dans l’étude des groupes terroristes, explique que la création de ce groupe permet également aux pays de la région de se prendre en charge et ne plus compter sur des forces étrangères. Un autre point de satisfaction pour Alger qui fait de la non-ingérence dans les affaires internes des pays un sacerdoce.
Pour Boubacar Ba, un autre événement récent aurait pu pousser Alger à se rabibocher avec son voisin du Sud; la récente brouille avec le Mali aurait poussé les autorités algériennes à s’appuyer sur Niamey pour ne pas perdre pied dans la région. Il y a eu certes un petit coup de froid en septembre entre Alger et Niamey sur l’issue à donner à la proposition algérienne, mais cela s’est vite dissipé et la realpolitik a pris le dessus. Surtout que contrairement au Mali, le Niger a toujours été un partenaire, voire un voisin loyal et moins compliqué du fait de l’unicité du pouvoir politique et d’une faible présence de factions et de dissidences armées qui empoisonnent la vie des Maliens par exemple.
A cela s’ajoute un autre détail de taille. “Le Niger est un partenaire économique stratégique de l’Algérie”, rappelle Zine Charfaoui, journaliste au quotidien francophone El Watan, spécialiste des questions du Sahel. Notre interlocuteur rappelle que l’Algérie a besoin d’un Niger stable parce qu’il abritera le gazoduc Transaharien, qui partira du Nigéria pour acheminer du gaz naturel vers l’Europe via l’Algérie. Or, une bonne partie de ce projet pharaonique de plus de 4000 Km est déjà prête, notamment du côté algérien qui dispose déjà de trois canalisations qui relient l’Afrique à l’Europe, et de la partie nigériane.
Il ne reste donc qu’à traverser le Niger pour achever un projet prévu, initialement, pour 2027. Toutefois, la poursuite du conflit dans ce pays risque de retarder encore le chantier qui sera financé par les deux pays voisins du Niger, l’Algérie et le Nigeria, et l’Union européenne.
Au-delà de la dimension économique, l’Algérie cherche la stabilité au Niger pour éviter également un flux migratoire énorme vers ses frontières car malgré l’existence d’un accord bilatéral qui permet à Alger de “renvoyer” les migrants nigériens, des dizaines de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes traversent la frontière des deux pays pour prendre position dans différentes villes algériennes.
Le phénomène, déjà encouragé par la sécheresse et la pauvreté, risque donc d’être amplifié par une éventuelle crise politique. D’où la nécessité de régler au vite la situation actuelle. Surtout que selon des sources nigériennes, le retour de Mohamed Bazoum au pouvoir est “dépassé”. Les pays de la Cédéao et même l’Algérie seraient en train de négocier avec les autorités militaires nigériennes une sortie honorable et sécurisée au président déchu qui aurait émis le vœu d’aller se soigner à l’étranger. Ce qui signifierait la fin de la crise surtout si le chef de l’Etat, le Général Abdourahmane Tchiani, accepte la période de transition de deux ans au lieu de trois comme il l’a proposé. Ce sera alors la fin de la crise et le retour à la normale dans un pays qui ne compte plus ses coups d’Etats depuis son indépendance en 1960.