LA CEDEAO VA-T-ELLE S’APPUYER SUR LA 5E COLONNE FRANÇAISE ?
En dehors des armées sénégalaise et nigériane, c’est le désert militaire !
Après la fin, ce dimanche, de l’ultimatum d’une semaine lancé aux putschistes à Niamey, la Cedeao semble prise à son propre piège. De fait, de plus en plus d’observateurs estiment qu’une solution militaire rapide pour mater la junte qui a pris le pouvoir au Niger en renversant le président Mohamed Bazoum devient de plus en plus improbable. Sauf si la Cedeao s’appuie sur la « cinquième colonne » que constitue l’Armée française qui dispose de 1.500 soldats actuellement stationnés au Niger dans le cadre de la lutte antiterroriste. Ceux qui soutiennent cette thèse s’appuient sur le fait qu’en dehors des armées sénégalaise et nigériane, cette dernière étant la seule à disposer d’une bonne aviation, c’est le désert militaire dans l’espace communautaire. Selon le docteur en communication politique, Pr Momar Thiam, et le colonel (Er) Dr Abdourahim Kébé, l’usage de la force ne devrait être qu’une solution de dernier recours parce qu’il pourrait se transformer en un enlisement militaire sanglant.
La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) regroupant le Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée Bissau, le Liberia, le Nigeria, la Sierra Leone, le Sénégal, le Togo et autres pays « rebelles » at-elle les moyens d’une force militaire crédible contre les coups d’État ? La question semble trouver sa réponse chez les « casques blancs » de l’Ecomog qui fut le bras armé de la Cedeao. Pour avoir à plusieurs reprises intervenu dans la sous-région, les « casques blancs » n’ont pratiquement jamais gagné une guerre visant à rétablir l’ordre constitutionnel. Pire, la plupart des opérations menées par l’Ecomog en Sierra-Leone, Guinée-Bissau ou au Libéria, ont viré à un enlisement militaire. Si elles n’ont pas « contribué » à l’aggravation des guerres civiles auxquelles elles étaient censées mettre fin. A preuve par Guinée-Bissau où, en 1998, l’Ecomog s’était déployée à la demande de l’alors président Joao Bernardo Vieira dit Nino confronté à une mutinerie militaire. Une intervention de l’armée sénégalaise ayant alors comme chef d’état-major le général Mamadou Seck « Faidherbe » avaient alors permis de sauver la mise au président Nino Vieïra, luimême ancien chef de guerre et qui portait le titre de général. Hélas, dès que les Jambaars de l’armée sénégalaise se sont retirés au bout de plusieurs mois de guerre livrée au militaires bissau-guinéens, pour laisser la place aux « casques blancs » de la Cedeao, les mutins du général Ansumane Mané ont marché sur Bissau avant de renverser le président Nino Vieira au bout de deux semaines.
Comment des armées de la Cedeao qui n’ont pas pu tenir tête aux mutins d’Ansoumana Mané peuvent-ils aller faire la guerre contre une armée aussi aguerrie que celle du Niger ? Il est vrai que la même Cedeao, dont l’armée sénégalaise constituait l’ossature avec la participation déterminante de l’armée nigériane avec ses aviations et sa marine, avait chassé le président gambien Yaya Jammeh qui voulait s’accrocher au pouvoir après avoir été battu par les urnes. Seulement voilà : cette intervention communautaire était une drôle de guerre au cours de laquelle pas un seul coup de feu n’a été tiré ! Tout simplement parce que l’armée gambienne, ou ce qui en tient lieu, n’est pas et n’a jamais été un foudre de guerre. Autant de choses qui font que la Cedeao, qui n’a eu à guerroyer jusqu’à présent que contre des armées (ou plutôt des rébellions !) de petits pays (Libéria, Sierra Léone, Guinée Bissau et Gambie), peut difficilement convaincre de sa capacité à combattre des militaires aussi aguerris que ceux du Niger. Disons-le franchement : une action militaire rapide pour mater la junte nigérienne est plus qu’improbable. Sauf si la Cedeao ou l’Ecomog s’appuie sur la « cinquième colonne » que constitue l’armée française qui dispose de 1.500 soldats actuellement stationnés au Niger dans le cadre de la lutte antiterroriste. Du moins officiellement. Les experts militaires vous le diront, la « cinquième colonne » est un mythe politique récurrent dans l’imaginaire complotiste. On appelle cinquième colonne un traître ou un soldat embusqué à l’intérieur d’un pays ou d’une armée, prêt à se réveiller pour renforcer ou appuyer une attaque extérieure. A tort ou à raison, la junte nigérienne redoute que les soldats français soient la « 5e colonne » de la Cedeao en cas d’intervention militaire. Une crainte qui aurait poussé les putschistes de Niamey à dénoncer plusieurs accords militaires conclus avec la France, concernant notamment le « stationnement » du détachement français et le « statut » des militaires présents dans le cadre de la lutte antidjihadiste. « Face à l’attitude désinvolte et à la réaction de la France relativement à la situation » du Niger, « le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Ndlr : Cnsp, c’est-à-dire la junte militaire au pouvoir) décide de dénoncer les accords de coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense avec cet Etat », a déclaré dans un communiqué lu à la télévision nationale le porte-parole de la junte dirigée par le général Abdourahmane Tchiani. Et dans la même foulée, le nouvel homme fort du Niger a nommé un Premier ministre du nom de Mahaman Lamine Zeine pour consolider davantage son pouvoir politique. Selon une source diplomatique basée à Abuja (Nigéria) et contactée par « Le Témoin », le général Tchiani et les membres de son état-major n’ont manifesté, en tout cas jusqu’à hier, mardi, aucune volonté de restituer le pouvoir. En fins stratèges, les putschistes savent qu’une capitulation serait synonyme de fin de carrière ou de mort pour eux. « Les nombreuses discussions souterraines entre Niamey et des diplomates de la Cedeao, de l’Union européenne et de l’Onu laissent croire que les putschistes sont déterminés à s’installer longtemps à la tête du pays » nous confie notre diplomate.
Une légion étrangère nommée…Ecomog
Depuis la création de l’Ecomog en 1990, le Nigeria est le plus grand contributeur de troupes et le plus grand fournisseur d’armements notamment d’avions de combat. Il est vrai aussi que ce géant économique et démographique dispose d’un impressionnant effectif militaire. Mais sur le terrain, le Nigeria est loin d’être un foudre de guerre ! A preuve par ses difficultés à venir à bout de la secte Boko Haram qui lui donne du fil à retordre depuis plus d’une décennie. Pour les autres armées comme celle du Bénin, du Burkina Faso, du Cap-Vert, de la Côte d’Ivoire, de la Gambie, du Ghana, de la Guinée Bissau, du Liberia etc.… Ne tremblez surtout pas ! Il s’agit en réalité surtout d’armées de parade ou de gardes prétoriennes qu’autre chose.
En dehors donc de l’armée sénégalaise, et aussi de celle du Nigeria pour ses moyens fabuleux surtout en avions, c’est le désert militaire dans l’espace communautaire. En 63 ans d’existence, notre vaillante armée a été toujours une exception glorieuse en Afrique, c’est-à-dire dans un continent où les forces armées se distinguent beaucoup plus par leur aptitude à mener des coups d’Etat militaires et des rebellions que par leur héroïsme dans la défense de l’intégrité des territoires dont ils ont la charge. De ce point de vue, l’armée sénégalaise, qui regorge d’officiers brillants ainsi que de vaillants soldats bien formés, constitue en quelque sorte l’exception qui confirme la règle de la politisation ou de la dérive maffieuse des autres forces de défense du continent. Pour autant, cela ne lui donne pas les capacités d’aller faire la guerre loin de ses frontières et dans un pays aussi immense que le Niger qui dispose, qui plus est, d’une armée bien entraînée et s’est forgée dans la lutte contre les djihadistes.
Depuis 1960, l’Armée sénégalaise connue pour son professionnalisme et sa compétence, s’est déployée dans plus de 200 théâtres d’opération sous la bannière des Nations Unies, de l’Ecomog, ou de l’Oua (Union africaine). De la République démocratique du Congo ex-Zaïre au Liban en passant par le Rwanda, Haïti, le Libéria, la Centrafrique, le Burundi, le Kosovo, le Soudan, le Rwanda, le Tchad, le Koweït, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Mali etc., partout nos « Jambaars » ont répondu présents. Une Armée de métier qui a toujours fait valoir son savoir-vaincre en répondant aux menaces des temps modernes : rébellions, coups d’Etat et terrorisme. Et de quelle belle manière ! Cela dit, est-elle bien placée pour aller imposer la démocratie dans les autres pays au moment où cette même démocratie est si malmenée dans notre pays ? La question mérite d’être posée !
Une double problématique selon Dr Momar Thiam
Après avoir conforté le portrait glorieux de l’armée sénégalaise dans l’espace sous-régional, le professeur Momar Thiam, docteur en communication politique, tient d’abord à préciser que la Cedeao est confrontée à une double problématique à savoir « celle de son efficacité et de sa réactivité face aux putschs dans la sous-région. Ensuite, celle de son unité pour les pays qui la composent dans la recherche de solutions aux crises. Dans la première, c’est son avenir et sa crédibilité qui sont en jeu puisqu’une intervention militaire est déjà préconisée voire envisagée mais pas exécutée du moins pour le moment. Mais attention ! Un éventuel usage de la force armée ouvrirait un espace favorable à la poussée djihadiste qui pourrait élargir son champ d’intervention avec la proximité géographique du Mali, de la Libye et du Tchad. Sans compter les réticences de l’Algérie très influente dans cette zone hostile » prévient notre interlocuteur avant d’aborder la seconde problématique relative à la posture du Mali et du Burkina, deux pays en croisade contre toute intervention militaire au Niger. « Vous voyez, la position radicale du Mali et du Burkina réduirait considérablement un vote favorable pour une telle intervention au sein de l’institution communautaire. A cela, il faut ajouter le fait qu’une bonne partie du peuple nigérien verrait une telle intervention comme une déclaration de guerre au même titre que les putschistes. Sans compter que le sénat du Nigeria a voté contre une intervention militaire alors que ce géant de l’Afrique est jusque-là le plus grand contributeur en troupes et en finances de la Cedeao. Avec la réticence des élus du Nigéria, cela réduit la marge de manœuvre de la Cedeao qui se retrouve aujourd’hui dans l’impasse » souligne Dr Momar Thiam qui met en évidence l’approche militaire de la géopolitique. Selon l’ancien consul général du Sénégal à Bordeaux, seule la voie politique ou diplomatique devrait être probablement privilégiée avec des sanctions à la clé afin de ramener les militaires putschistes à la raison. « Et pourquoi pas pousser le peuple nigérien asphyxié par un embargo à se retourner contre la junte ? Mais, quoi qu’il en soit, j’aurai préféré un long usage de la force diplomatique qu’un court usage de la force armée » confie Dr Momar Thiam.
Colonel (Er) Abdourahim Kébé « Une intervention inopportune ! »
Expert en politique de sécurité et de défense, le colonel à la retraite Abdourahim Kébé estime que l’intervention projetée de la Cedeao au Niger est inopportune et dangereuse pour la sous-région ouest-africaine. Solidaires du Niger, le Burkina Faso (limitrophe de la Côte d’Ivoire) et le Mali (limitrophe du Sénégal) ont déclaré que toute intervention militaire contre le Niger serait assimilée à une déclaration de guerre contre eux. Dès lors, outre le Niger, le Sénégal serait aussi en guerre avec son voisin immédiat, le Mali et certainement avec la Guinée Conakry. Quant à la Côte d’Ivoire, elle devrait aussi faire face au pays des « hommes intègres ». Donc une intervention militaire de la Cedeao au Niger va embraser toute la sous-région. La première erreur diplomatique commise par le Sénégal et la Côte d’Ivoire, c’est d’être les deux premiers pays francophones à annoncer une expédition punitive au Niger » s’est désolé l’ancien attaché militaire du Sénégal à Washington.
Selon le colonel (Er) Kébé, qui est aussi docteur en droit, il ne faudrait pas que l’opinion et internationale s’y trompe ! « Cette intervention est voulue par la France qui a maintenu ses 1500 militaires au Niger. Comme l’a si bien souligné la ministre française des Affaires étrangères, Mme Catherine Colonna, qui a déclaré ce samedi 5 août que la menace d’intervention militaire des pays de la Cedeao devrait être prise très au sérieux. Elle a aussi dit que la France soutiendrait une éventuelle intervention de cette organisation. Donc la France va se camoufler derrière ses alliés/valets africains pour mener sa guerre par procuration qui, pardelà le Niger, ciblerait aussi le Mali et le Burkina Faso. Supportant difficilement sa perte d’influence dans ce qu’elle a toujours considéré comme son pré-carré, elle est déterminée à ne pas céder au Niger. D’autant plus que le Niger représente un enjeu stratégique (lutte contre le djihadisme) et économique (l’uranium) pour le pays de Macron » décrypte avec pertinence le colonel Kébé qui enseigne aussi dans des universités américaines.
Dans la lutte que les occidentaux (États-Unis et France notamment) mènent contre le terrorisme au Sahel, perdre le Niger serait ouvrir la voie aux djihadistes mais aussi et surtout aux Russes. Et cela est inacceptable pour la France. Mais quoi qu’il en soit, ce n’est pas demain la veille d’une intervention militaire de la Cedeao au Niger. Car une intervention sérieuse prendra du temps à l’Ecomog, la force armée ouest-africaine, pour se mettre en place au Niger. Et puis cette force « néocoloniale » (Nigeria exclu) attendra d’être équipée et formée par la France et les États-Unis. Comme quoi, qui paie commande ! N’est-ce pas colonel (Er) Kébé ? « Evidemment ! Mais le problème se trouvera surtout dans le fait que, durant le long processus de mobilisation des troupes de la Cedeao, les forces de Wagner pourraient être invitées à se déployer au Niger, faisant prendre à la guerre une autre dimension qui nous renverrait au temps de la guerre froide. La France aura beaucoup à perdre dans cette intervention et ce, quel qu’en soit l’issue car le sentiment antifrançais n’en sera qu’exacerbé » assure cet officier sénégalais à la retraite.
Une chose est sûre : si les membres de la junte qui a pris le pouvoir au Niger jouent leur survie, la Cedeao, elle, joue ici sa crédibilité diplomatique et son influence militaire. Car si l’institution communautaire a été relativement faible voire impuissante vis-à-vis des coups d’État au Mali, en Guinée-Conakry et au Burkina Faso, elle ne peut plus se permettre de l’être au Niger. Sinon, elle n’aura plus sa raison d’être… A moins de jouer les épouvantails dans des pays nains et pratiquement sans armées comme la Gambie, la Guinée-Bissau, la Sierra Leone, le Libéria etc. !